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La Septième Face - Jour 1
By Svetlana Posted in Publication on 18 novembre 2015 2 Comments 13 min read
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51Salut à tous ! smile

A l’occasion de la sortie très prochaine de La Septième Face 1, je vous propose de découvrir le premier chapitre. Gaffe, il peut faire fuir le cerveau mrgreen

Bonne lecture !


 

Le premier coassement se fit entendre dans l’air du soir. Un second se joignit à lui, puis un troisième et bientôt, tout le Grand Marécage s’emplit de chants de milliers de grenouilles.

Un groupe de curieux armés de boîtes enregistreuses dernier cri ne mit pas plus de sept secondes à envahir la vaste végétation. On pouvait les comprendre – ils étaient venus des six Faces du Cube pour régaler leurs tympans de cette douce mélodie.

La grenouille qui avait entamé ce chant cessa après exactement soixante-dix-sept secondes. Ses compagnes suivirent docilement son exemple. Le silence qui s’installa de nouveau ne fut brisé que par les lourds soupirs de l’assistance.

Après avoir écouté une si douce mélodie, il était terriblement difficile de se retrouver face au silence. On racontait même que certains n’avaient pas pu s’y faire et que depuis, ils étaient pensionnaires dans un charmant établissement situé sur une verte colline perdue en plein milieu de la Face Désertique. On disait aussi que les murs dans cette oasis étaient capitonnés et que le personnel s’obstinait à fournir à ses résidents des chemises aux manches trop longues qu’il fallait attacher pour éviter de se prendre les pieds dedans.

Mais, fort heureusement, cette fois-ci, personne ne dépassa le stade du soupir résigné et la petite foule de touristes prit la direction du portillon qui leur avait servi d’entrée et qui se retrouvait maintenant avec le titre de sortie.

Il les regardait sortir en mettant un point d’honneur à avoir le compte exact. Plus d’une fois, il avait vu des touristes se perdre malencontreusement parmi les fougères et les nénuphars pour ressortir comme si de rien n’était le lendemain, dès que le premier coassement brisait le chant des moustiques. Mais, cette fois-ci, aucun ne manquait.

Ils étaient alignés là, à la sortie, dans un silence religieux en serrant leurs boîtes enregistreuses contre eux et en lançant des regards féroces à quiconque oserait s’en approcher de trop près.

Il n’attendit pas de les voir monter dans la transporteuse vers la capitale. La sécurité se chargerait à présent de ceux dont les nerfs décideraient de lâcher au dernier moment.

Il prit le plus grand soin possible pour refermer le portillon et pour réenclencher les barbelés invisibles qui étaient efficaces soixante-seize fois sur soixante-dix-sept.

Une fois cette tâche accomplie, il savoura pendant un moment le silence retrouvé. Un court moment.

— Machiiin ! Maaachiiiiin !

Il la vit débouler de derrière une plantation assez touffue de fougères, ses cheveux bruns ponctués de mèches vertes volant dans une brise inexistante.

— Coaselle ?

— Ah, te voilà !

Un grand sourire illumina le visage de sa collègue. Un sourire qu’il connaissait, tout comme il savait ce qui allait suivre et tout comme il n’ignorait pas qu’il accepterait sans même discuter.

— Dis, ce soir, ça te gênerait de me remplacer ? Je suis censée fermer, mais je viens d’apprendre que ma tortue s’est étouffée avec une noix. Faut que je file de toute urgence.

C’est ainsi qu’il se retrouva tout seul dans le Grand Marécage, alors qu’en toute logique, il aurait dû rentrer tranquillement et ainsi éviter à tout un tas d’évènements suspects d’arriver. On ne le dira jamais assez – le destin a un sacré sens de l’humour.

Machin Schauze, de son nom complet, s’était toujours demandé ce qui avait pu passer par la tête de sa très chère mère le jour où elle lui avait donné son nom. Deux solutions s’offraient à lui.

La première et peut-être la plus plausible consistait à penser qu’on s’était trompé dans l’orthographe du prénom en remplaçant un « o » par un « a ». Il y avait en effet toujours eu des Mochin dans les mêmes classes que lui. Dans les moments où il adhérait à cette solution, il se rassurait en se disant que Mochin ne devait pas être beaucoup plus gratifiant à porter. Parce qu’il fallait bien avouer que Mochin, c’était moche.

La seconde l’avait emmené à envisager le fait que feue sa mère avait juste fait preuve de son humour légendaire en sachant pertinemment qu’au moment où Machin prendrait conscience du prénom qu’il allait devoir porter toute sa vie, elle serait hors de portée. C’était plutôt futé comme calcul et, si on envisageait cette possibilité, on pouvait au moins se consoler en se disant qu’elle était partie le sourire aux lèvres.

Machin, donc, fit le tour du Marécage, observa longuement quelques grenouilles silencieuses sur des nénuphars, passa en revue tous les buissons pour en déloger les éventuels nuisibles, ne trouva personne, éteignit les barbelés invisibles, sortit, les ralluma et se dirigea vers l’autobus qui devait le ramener chez lui. Quelques frayeurs plus tard, il se retrouva à fouler le sol bien solide de la capitale de la Face à l’Envers répondant au nom de Têtenbas.

Machin avait l’intime conviction que ceux qui avaient nommé les Faces avaient forcé sur la bouteille. Leur Face n’avait rien de l’envers. Mais bon, c’était sûrement une question de point de vue. En tout cas, c’était ce que lui avaient toujours répliqué ses professeurs excédés.

La Face à l’Envers n’était réputée que pour une chose, son Grand Marécage. Et ce qu’on appelait « capitale » n’avait gagné son titre que par un heureux concours de circonstances, quelqu’un ayant eu la bonne idée de poser ses valises juste à côté de la réserve de grenouilles sacrées. Les touristes n’avaient pas mis plus de sept minutes à repérer la ville et divers hôtels et autres auberges avaient poussé bien plus vite que des champignons dans une forêt infestée d’humidité.

Ils concourraient tous pour le nom le plus accrocheur. « À la Grande Coasseuse », « Le Marécage aux Mille Lits » ou encore « Au Nénuphar Illuminé » étaient les plus en vogue. Et avec la période touristique qui venait juste de reprendre et le planning des visites du Marécage rempli pour les sept années à venir, lesdits hôtels étaient sûrs de ne pas manquer de pigeons à plumer.

Une fois les quartiers touristiques de Têtenbas dépassés, la foule se fit moins compacte et surtout moins hystérique. Il continua encore et encore avant de sortir carrément de la ville. La nuit qui venait de tomber n’était pas des plus rassurantes. Non seulement Machin n’avait jamais compris le sens du mot « courage », mais en plus, il était la cible parfaite pour quiconque savait qu’il avait dans la poche la clef d’accès au Grand Marécage. Ce fut donc un grand soulagement que de voir la masse sombre du vieux manoir.

Machin qui s’était retrouvé orphelin à la naissance avait été recueilli par le bon oncle Hector, le directeur du Grand Marécage. Cette situation lui avait d’ailleurs valu une place de choix pour s’occuper des livraisons de moustiques.

Et comme il fallait bien évidemment montrer aux masses à qui la Face devait le plus grand taux de tourisme de tout le Cube, l’oncle avait fait construire la plus grande et la plus imposante bâtisse de toute la Face. Plus d’une fois, Machin avait réussi à se perdre dans le dédale des couloirs et la poussière des bibliothèques. Une fois, il était même entré par inadvertance dans une pièce entièrement tapissée de bouteilles aux liquides étranges. Malgré tous les efforts qu’il avait mis à la retrouver, jamais il n’avait pu en apercevoir ne serait-ce que l’ombre.

Le manoir était évidemment bordé d’un parc, il fallait entretenir les clichés. Il ne portait d’ailleurs ce nom que parce que la coutume l’exigeait. En vérité, on aurait plutôt pu l’assimiler à une énorme forêt dont le seul but aurait été de recueillir tous les végétaux poussant ou ayant jamais poussé sur le Cube. Bon nombre étaient non seulement vénéneux, mais aussi extrêmement agressifs, principale raison pour laquelle Machin évitait le parc de nuit… et de jour aussi dès qu’il le pouvait.

Cette traversée du parc là ne fit aucune exception à la règle. Mais ses frayeurs se résumèrent seulement à une dégoulinante à miroirs qui hurlait au loin et à une mordante à épines qui ne s’était fait les dents sur personne depuis un sacré moment. Ce ne fut donc qu’avec une petite septaine de morsures qu’il arriva devant la porte principale.

Il la poussa de l’épaule en louchant sur les morsures qui commençaient déjà à gonfler. Il fallait qu’il trouve immédiatement l’antidote, histoire de continuer à respirer un peu plus longtemps.

La trousse à pharmacie se trouvait dans ce qui lui servait de chambre. Oui, « servait », parce que quiconque y serait entré sans avertissement préalable aurait fait une méchante attaque. Le bon cœur de Machin lui dictait donc de ne jamais – au grand jamais ! – laisser quelqu’un entrer dans ce qu’il appelait modestement son « chaos rangé ».

Quant à la trousse à pharmacie, après réflexion, il était aussi très modeste de l’appeler ainsi. Il aurait mieux valu s’imaginer une immense boutique d’apothicaire dans laquelle on pouvait trouver tous les remèdes jamais créés, et la multiplier par sept. Parce que si Machin ne connaissait pas la définition du mot « courage », il connaissait très bien celle de « décès suite à la morsure d’une plante passablement agressive ».

Ah ces plantes… Il en connaissait un rayon à leur sujet. Tout du moins, il savait exactement quel remède utiliser pour chaque. Tout ça, parce que ce cher oncle avait eu la fameuse idée de lui raconter les détails – croustillants, cela va sans dire – du décès de son père.

Ce dernier, peu après avoir appris que sa femme portait le fruit de leur amour, avait tellement fêté l’évènement – pour oublier, avaient dit certaines mauvaises langues – qu’on l’avait retrouvé profondément endormi dans un massif de paralysantes à trompettes. Le hic dans l’histoire, c’est que le nom de ladite plante ne vint colorer le récit que bien plus tard. Face à un corps pas bien chaud et plutôt raide, on ne s’était pas occupé de compter les pétales. Le médecin – assez peu expérimenté et remplaçant son collègue qui avait trop forcé sur la bouteille pendant la Fête de la Grande Coasseuse – avait déclaré son patient mort et bon à enterrer. Le légiste, quant à lui, s’était révélé doté d’un humour assez particulier et, suite à son expertise, on pouvait lire sur son rapport : « L’autopsie a montré que le patient est mort à cause de l’autopsie ». Machin considérait donc que c’était une raison suffisante pour s’intéresser à tous les antidotes existants et ainsi éviter de finir découpé sur une table alors qu’on n’était atteint que d’une petite paralysie qui aurait dû se dissiper au bout de deux ou trois jours.

Il prit donc un soin tout particulier à appliquer la mixture sur chaque morsure, ce qui lui prit un sacré moment. Une fois cette tâche accomplie, il décida de se mettre à la recherche de l’oncle. Il trouvait d’ailleurs fort étrange que ce dernier ne soit pas encore venu lui chauffer les oreilles avec sa dernière trouvaille pour accélérer la reproduction des grenouilles.

C’était simple – vu l’heure, son oncle devait dîner bien tranquillement dans le troisième grand salon en partant de la gauche. Mais il ne s’y trouvait pas.

L’oncle avait toujours exécré les domestiques, ce qui expliquait une bonne partie de la poussière. Il se vantait même de pouvoir tenir un si grand manoir par la seule force de sa volonté. Machin trouvait que la volonté n’était pas toujours suffisante et que parfois, il fallait aussi mettre la main à la pâte.

C’était quand même des plus étranges que l’oncle déroge ainsi à ses habitudes. Machin ne le trouva ni dans la salle de musique, ni dans celle d’échecs. Puis, il eut l’idée de pousser la porte de la septième bibliothèque.

Et c’est là que Machin vit son premier cadavre.

Il savait que la mort pouvait surprendre n’importe qui à n’importe quel moment et donc dans n’importe quelle position. Et, l’oncle se faisant vieux, forcément l’idée de son trépas lui était déjà venue à l’esprit.

Mais jamais son imagination n’était allée jusqu’à se figurer sa sortie de scène de la sorte. Même l’esprit le plus tordu n’aurait jamais pu imaginer un cadavre, suspendu la tête en bas, un pied coincé dans l’échelle de la bibliothèque et la main effleurant encore le Mythe de la Grande Coasseuse gisant sur le sol.


Merci d’avoir suivi ce premier chapitre et à demain pour la suite smile

Fantasy burlesque 21 novembre 2015

auto-édition La Septième Face


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